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Mercredi 24 mai 1871
La journée du désespoir

La Commune
La semaine sanglante

Canonnant et fusillant, les Versaillais enlèvent le ministère de la Guerre, l'Opéra, la Trinité. Mais la Concorde résiste farouchement et, avec un ronflement de chaudière, s'allument les Tuileries...

Vaincre ou mourir

vaincre ou mourir pendant la Commune de Paris
Le mercredi 24 mai, c'est à croire que le jour ne va pas se lever sur la Seine. Toute la nuit, les brasiers de la rive droite et de la rive gauche ont rougeoyé, tournoyé, vomi vers le ciel velouté des torrents de flammes pourpres. Maintenant, c'est la fumée qui s'est emparée du ciel, la fumée noire, sale, que le vent pousse vers l'ouest, vers le Trocadéro et Passy, qui dépose sur les immeubles des beaux quartiers une fine pellicule grasse et noire, celle de la désolation, du désastre et de la mort.
Vaincre ou mourir, c'est bien en effet la seule alternative offerte aux Parisiens. Aussi, est-ce la journée du désespoir. Parmi les gardes nationaux, il y a ceux qui prennent la fuite, qui se procurent des vêtements civils ou passent simplement les prendre chez eux, abandonnant dans la rue leur fusil et leur équipement. Les chaussées en sont jonchées. Il y a ceux qui se font Versaillais, qui exhument d'un tiroir un brassard tricolore soigneusement caché, à tout hasard. Ces gardes nationaux-là sont déjà prêts à former les « bataillons de l'ordre ». Dans les quartiers bourgeois conquis par les Versaillais, on bat la générale pour ces nouveaux combattants empressés à obéir, à renseigner, voire à dénoncer. On les appelle les « brassardiers ».
Il y a enfin les durs, les tenaces, les irréductibles. Ou peut-être, plus simplement, ceux qui, pendant deux mois, ont fait un rêve et préfèrent mourir plutôt que de se réveiller. Ce sont ceux-là qui se font tuer, les uns après les autres, sur les barricades.

Les obsèques de Dombrowski

Chez les soldats de Versailles, comme chez leurs adversaires, une véritable hystérie va crescendo. Ils sont entrés dans Paris perplexes et circonspects, pas toujours très fiers de la mission qui leur était confiée. Certains d'entre eux avaient peut-être même des sympathies pour la cause qu'ils venaient combattre. Mais, au troisième jour de la semaine sanglante, les Parisiens de la Commune, ce sont ces hommes farouches qu'il faut affronter impitoyablement sous le feu des barricades. Ce sont les meurtriers du camarade de régiment, du copain d'escouade, du voisin de rang que l'on a vu tomber au détour d'une rue étroite. Ce sont enfin les incendiaires du patrimoine national. Pour ces Français si attachés aux pierres de leur pays, si conscients de la valeur des choses, jeunes recrues ou officiers de carrière, ce crime-là est impardonnable. Les Parisiens eux-mêmes ne le pardonneront pas aux communards.
L'incendie de Paris demeure à tout jamais la tache qui souille leur cause.
Dans la matinée de ce mercredi, ont lieu au Père-Lachaise les obsèques de Jaroslaw Dombrowski, et c'est une scène extraordinaire que celle de cette funèbre parade militaire se déroulant à quelques centaines de mètres de la zone des combats. En présence d'André, le frère du défunt, Auguste Vermorel fait l'éloge de celui sur lequel les Versaillais ont tenté de jeter le discrédit et la suspicion. Le canon, la fusillade couvrent sa voix, emportent dans les ramures d'un vert tendre et joyeux des lambeaux de phrases. « Heureux, s'écrie Vermorel, ceux qui auront de telles funérailles! Heureux ceux qui seront ensevelis dans la bataille, salués par leurs canons, pleurés par leurs amis ! » Et il propose ce serment qu'il sera le premier à tenir: « Jurons de ne sortir d'ici que pour mourir. »
Cette exaltation n'est pas unique. Une sombre détermination anime les membres de la Commune. Ils ne souhaitent plus maintenant que disparaître dans ses ruines. Ainsi, Boursier, par exemple, colonel de la garde nationale, membre du Comité central, se met en grande tenue, se ceint de son écharpe rouge à franges d'argent et fait ses adieux à sa femme. Au passage, devant la loge, il lance à sa concierge: « Je vais faire comme les autres, je vais m'ensevelir sous les décombres. »

L'exécution des otages

Exécution des otages pendant la Commune de Paris
La foule a flairé l'odeur du sang. Depuis l'entrée des Versaillais dans Paris, des milliers de fédérés sont tombés dans les combats ou fusillés au coin des rues, au nom d'une justice sommaire. Elle veut des représailles. Le 6 avril dernier, la Commune a décrété la loi sur les otages: trois otages fusillés pour un fédéré exécuté par les Versaillais. Jamais cette loi n'a été appliquée et, autant que les documents et les récits permettent d'en juger, le 24 mai, à 17 heures, les seules victimes de la « justice de la Commune » ont été le pharmacien Kock, ses deux compagnons et Veysset.
Maintenant, sous la pression de la multitude en colère qui réclame des exécutions, Théophile Ferré est contraint de recevoir une délégation et finit par signer l'ordre suivant: « Ordre au citoyen directeur de la Roquette de faire exécuter six otages. »
L'ex-procureur Genton, un rescapé de 1848, le commandant Mégy, l'ancien chef de la garnison du fort d'Issy, et le capitaine Sicard, de la garde nationale, prennent la tête d'une troupe de gardes du 66e, tous volontaires pour exécuter les otages. Malgré la tentative de François, directeur de la Roquette, mis en place par la Commune, qui essaie de lui sauver la vie, l'archevêque, Mgr Darboy, figure en tête des six victimes expiatoires. Elles vont au peloton d'exécution avec une magnifique fermeté d'âme et une dignité exemplaire. Le président Bonjean s'appuie sur le bras de l'archevêque, tandis que suivent, marchant ensemble, l'abbé Deguerry, curé de la Madeleine, et le père Ducoudray, l'abbé Allard et le père Clerc. On les aligne le long d'un mur, sur le chemin de ronde de la prison. Le capitaine Sicard lève son sabre. Les six condamnés s'affaissent.
Jules Vallès peut alors mesurer les redoutables conséquences de ses éditoriaux enflammés: « Cette boucherie est horrible! s'écrie-t-il. Ces gens étaient âgés, prisonniers, sans armes! On criera que c'est une lâcheté! »

Paris devient un vaste charnier

Pendant la Commune de Paris, la ville devient un vaste charnier
Au début de la matinée, il ne reste plus à l'Hôtel de Ville qu'une quinzaine de membres de la Commune, hagards, impuissants devant le désastre, et quatre membres du comité de Salut public, Antoine Arnaud, Émile Eudes, Ferdinand Gambon et Gabriel Ranvier. Ils sont aphones, épuisés, totalement dépassés par les événements, incapables d'imaginer un plan d'ensemble, une tactique, de donner des ordres cohérents. Il n'y a plus qu'une solution, tandis que les Versaillais, qui ont dépassé le Louvre, approchent irrésistiblement: l'évacuation et l'incendie. L'Hôtel de Ville subit le même sort que les Tuileries et le Palais de la Légion d'honneur. A 10 heures, le magnifique monument est en flammes.
Cela contribue à exaspérer les soldats de Versailles. Leur avance est semée de véritables atrocités. Paris devient un vaste charnier. Les 300 fusillés de la veille sont entassés au soleil, le long des murs de la Madeleine. Trente fédérés se réfugient dans une imprimerie de la rue Saint-Honoré. Pour échapper à la capture et à la mort, ils ont jeté leurs armes, trouvé des vêtements de travail. Mais ils ont été vus, ou peut-être dénoncés. Ils sont conduits rue Saint-Florentin, près de la redoute du Château-Gaillard, et fusillés tous les trente.
Six autres fédérés et une jeune femme vêtue d'un uniforme de garde national se sont réfugiés dans des tonneaux. On les découvre. Ils sont abattus sans aucune pitié.
A midi, ce jour-là, l'infanterie versaillaise envahit le séminaire Saint-Sulpice, transformé en ambulance. Le docteur Faneau essaie de protéger les blessés fédérés qu'il soigne depuis plusieurs jours. Il est abattu et les soldats, se répandant dans les salles, entreprennent d'égorger les blessés. Ils en ont tué soixante lorsque l'état-major du général de Cissey fait cesser le massacre.
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